vendredi 21 novembre 2014

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ici et maintenant
la pratique du gouvernement s'identifie de moins en moins à la souveraineté étatique
à l'heure des réseaux, gouverner signifie assurer l'interconnexion des hommes, des objets et des machines ainsi que la circulation libre, c'est-à-dire transparente, c'est-à-dire contrôlable, de l'information ainsi produite
une entreprise qui cartographie la planète terre, dépêchant des équipes dans chacune des rues de chacune de ses villes, ne peut avoir des visées platement commerciales
on ne cartographie jamais que ce dont on médite de s'emparer
"don't be evil!" : laissez-vous faire

là où règnent le contrôle et la transparence, là où la conduite des sujets est anticipée en temps réel par le traitement algorithmique de la masse d'information disponible sur eux, il n'y a plus besoin de leur faire confiance ni qu'ils fassent confiance au gouvernement : il suffit qu'ils soient suffisamment surveillés

le sujet occidental rationnel, conscient de ses intérêts, aspirant à la maîtrise du monde et gouvernable par là, laisse place à la conception cybernétique d'un être sans intériorité, d'un Selfless Self, d'un Moi sans Moi, émergent, climatique, constitué par son extériorité, par ses relations
un être qui, armé de son Apple Watch, en vient à s'appréhender intégralement à partir du dehors, à partir des statistiques qu'engendrent chacune de ses conduites
un Quantified Self qui voudrait bien contrôler, mesurer et désespérément optimiser chacun de ses gestes, chacun de ses affects

le plus polyvalent des capteurs est déjà en fonctionnement : moi-même
l'accélération de la mise en données du monde rend toujours moins pertinent le fait de penser comme séparés monde connecté et monde physique, cyberespace et réalité.

la question du gouvernement cybernétique n'est pas seulement, comme au temps de l'économie politique, de prévoir pour orienter l'action, mais d'agir directement sur le virtuel, de structurer les possibles
(Comité invisible, A nos amis, 2014, La fabrique)