mercredi 19 novembre 2014

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fiction
la fiction n'est pas la création d'un monde imaginaire opposé au monde réel. Elle est le travail qui opère des dissensus, qui changent les modes de présentation sensible et les formes d'énonciation en changeant les cadres, les échelles  ou les rythmes, en construisant des rapports nouveaux entre l'apparence et la réalité, le singulier et le commun, le visible et sa signification. Ce travail change les coordonnées du représentable; il change notre perception des événements sensibles, notre manière de les rapporter à des sujets, la façon dont notre monde est peuplé d'événements et de figures.



réel
il n'y a pas de réel en soi mais des configurations de ce qui est donné comme réel, comme l'objet de nos perceptions, de nos pensées et de nos interventions. Le réel est toujours l'objet d'une fiction, c'est-à-dire d'une construction de l'espace où se noue le visible, le dicible et le faisable.
C'est la fiction dominante, la fiction consensuelle, qui dénie son caractère de fiction en se faisant passer pour le réel lui-même et en traçant une ligne de partage simple entre le domaine de ce réel et celui des représentations et des apparences, des opinions et des utopies.
Aussi le rapport de l'art à la politique n'est-il pas un passage de la fiction au réel mais un rapport entre deux manières de produire des fictions.

(Jacques Rancière, Le Spectateur émancipé - Les paradoxes de l'art politique, La fabrique, 2008)