Terra incognita
l'octet renvoie à l'échelon initial significatif des débuts de l'informatique grand public. Le kilo-octet a représenté la valeur emblématique de la capacité des premiers micro-ordinateurs ou des fichiers de traitement de texte. Le mégaoctet a signalé l'émergence de données numériques extra-textuelles, d'ordre musical et iconique, capable d'être conservées sur des disques durs personnels, autant que les mesures de téléchargement à l'oeuvre sur les réseaux à la fin des années 1990. Le gigaoctet témoigne du tournant du millénaire, arqué par la numérisation de l'image animée, l'accès à la vidéo en ligne et l'augmentation substantielle des volumes circulant sur internet.
Le téraoctet représenterait le nom exact de notre période, désignant la puissance de stockage désormais détenu par chacun, permettant en théorie de conserver l'équivalent de fond volumineux de bibliothèques.
Le petaoctet atteste du franchissement d'un seuil, ne définissant plus la puissance des équipements privés ou professionnels, mais les masses entreposées dans des fermes de données dont les contenances dépassent en quelques sortes les facultés de représentations de l'entendement humain. L'exaoctet (soit un milliard de gigaoctets) ne renvoie plus aux capacités détenues par certains serveurs, mais aux volumes globaux administrés par de grandes entités (à l'instar de CERN, par exemple), ou circulant durant un laps de temps déterminé sur la Toile.
Le zettaoctet correspond à une mesure astronomique exclusivement destinée à circonscrire la totalité du volume de données générées ou stockées sur l'ensemble de la planète. Il aurait été produit l'ordre de trois zettaoctets en 2014, et il est hypothétiquement projeté une production de quarante zettaoctets en 2020.
Le yottaoctet enfin évoque une sorte de Terra incognita, manifestant sous un seul vocable autant de volonté de nommer un horizon irrémédiablement annoncé, que l'impossibilité de se figurer les quantités en jeu.
Quant aux unités ultérieures éventuellement appelées à se succéder au cours du 21e siècle, elles relèvent d'un ordre qui défie nos structures actuelles d'intelligibilité.
(Eric Sadin, La Vie algorithmique, l'Echappée, 2015)