limité
on croit souvent, et moi même, pour les besoins de la discussion, j'ai laissé supposé que la langue politique héritée des anciens maîtrisait les touts limités. Je ne le crois pas, en fait.
Cette langue politique mérite l'admiration et le respect, mais elle n'a jamais rien saisi de réel. Qu'elle soit inadéquate aux illimitations modernes, on le sait, mais elle manque également les touts limités du monde antique. La polis grec n'a jamais été cette "belle totalité" qu'évoque Hegel; Athènes est un bricolage, Sparte, une décadence ininterrompue. Tibère qualifiait l'Empire romain de monstre. Une fois devenue conquérante, la République romaine est une chimère, dans tous les sens du mot. Depuis Platon et Aristote, on tente de classer les régimes possibles, monarchie, oligarchie, démocratie, en les alignants sur les trois types de propositions logiques; celle qui parle d'un seul objet, celle qui parle de quelques uns, celles qui parlent de tous. Ce modèle logico-politique hante nos représentations, or il n'explique à peu près rien. A peine parvient-il à décrire.
(Jean-Claude Milner, Clarté de tout, Verdier, 2011, p 177-178)
illimité
La politique vient des mondes clos et des touts limités; sa langue en témoigne. Mais elle a à se déployer dans l'univers des touts illimités. La Révolution est l'une des tentatives majeures pour résoudre la difficulté. Je n'ai jamais supposé que c'était la seule. Faire supporter l'illimité par la forme-marchandise, ça a été le choix du libéralisme anglo-saxon; le faire supporter par les seules marchandises qui ne s'usent pas quand on s'en sert, autrement dit l'argent et les produits financiers, ça a été le choix de ces dernières décennies. Toutes les variantes de la politique des choses reposent sur l'hypothèse que l'être parlant ne fait pas limite aux choses. Elles se fondent donc sur l'illimité.
(Clarté de tout, p 148)