mardi 27 mai 2014

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positions extrêmes
Il aime et admire les positions extrêmes chez les adversaires comme chez lui-même, et ne hait que le juste milieu. Il aimera la Terreur et les grands seigneurs, non la monarchie bourgeoise. Les jansénistes et les incrédules, pas les tièdes...
Ce tour d'esprit qui pose les extrêmes contraires, amène chez lui comme chez Pascal des développements par antithèses. Antithèses réelles chez tous les deux, et non "fausses fenêtres pour la symétrie."
Mais avec Pascal, les extrêmes sont posés par déduction logique et dépouillement des apparences. Chez Stendhal, les extrêmes sont posés par jugement esthétique. Au lieu de la tragédie pascalienne des contradictions inconciliables et déchirantes, Vinci et Michel-Ange, Julien Sorel et l'abbé Picard, la sage mais ennuyeuse Amérique, la folle mais voluptueuse Italie, forment des contrastes heureux, comme des effets de couleur complémentaires...
Le jugement moral, toujours appuyé sur le principe d'utilité commune, est identique au jugement politique. Le jugement esthétique a les préférences de l'auteur et du lecteur.
En 1818, préparant une seconde édition du livre (Rome, Naples et Florence) et voulant y mettre son portrait moral,il écrit :
"Quand je suis arrêté par des voleurs ou qu'on me tire des coups de fusil, je me sens une grande colère contre le gouvernement et le curé de l'endroit. Quant au voleur, il me plaît, quand il est énergique, car il m'amuse."
Le jugement esthétique s'applique à l'individu, le jugement moral aux ensembles.
(Jean Prévost, La Création chez Stendhal, 1951)