1801
Pour P.A.G.
En apprenant la disparition de Paul-Armand Gette, j'ai été à la fois saisi de tristesse et
de nostalgie et, sans pouvoir m'en empêcher, pas tout à fait convaincu par la nouvelle.
Il y a, en quelque sorte, une incompatibilité de son œuvre et de la mort.
Si quelqu'un a bien été vivant, par bien des aspects, et du plus de manières possibles,
c'est bien lui, l'homme, l'artiste Gette. En s'approchant de sa personne et de son
œuvre, on gagnait, et on gagne toujours, merveille de l'art, une forme d'éternité.
Le Om, la science, les arts, l'érotisme, la fiction, les Nymphes, les blocs, le lointain,
le visuel, les petites culottes, le toucher, les métaphores, la représentation, les lisières,
le dessin, la photographie, le sexe féminin, le coloriage, la sédimentologie, le
paysage, les modèles, le volcanisme, Aphrodite, les calcinations, la beauté, le
plaisir... confondent leurs modes, leurs aspects et leurs proportions et composent
d'infinies variations dont le spectateur est aussi l'acteur. Tous les éléments qui
précisent (ou qui désorientent) les manifestations de l'artiste indiquent et mettent en
perspective « les régions privilégiées où les miroirs se franchissent aussi aisément
qu'un rideau de pluie. » Ici, « le temps ne passe pas tout à fait de la même façon ... à
condition de ne pas y rester trop longtemps.»
Paul-Armand Gette a indiqué avec précision les accès d'un monde réel tout d'un coup
vivable. Il a déchaîné la puissance subjective du goût, dont on connait depuis Kant et
Arendt les relations très concrètes avec le domaine politique. En étant absolument lui-
même (et rien d'autre), en mobilisant la force que donne l'économie de moyens, il a
porté son art à un haut niveau d'efficacité esthétique : celui de l'investigation du
possible. Le tout problématique de la Société qui nous limite se déplace et se modifie
dans des systèmes de coordonnées dont les abscisses et les ordonnées sont les œuvres
des arts. La liberté de l'artiste est extrême. Là où il ne peut pas aller, la liberté doit
être aussi grande que possible.
Tout en récusant toute adhésion de formes ou de principes à quelque mouvement
d'avant garde que se soit, il a bel et bien partagé, avec Haussmann et Breton, Gysin,
Burroughs et Heidsieck, les lettristes et Debord, ce point de vue : voir dans l'art une
représentation agissante des potentialités de la société.
Il connaissait la puissance que peuvent avoir, grâce à leur cohésion, de petits groupes
et ce en dépit (ou à cause ?) de leur faiblesse matérielle. Après tout, avoir transformé
le désir d'un individu en un mouvement général (en 1968) telle était pour les
situationnistes leur plus belle réussite. Et on peut bien imaginer que les amis de Paul-
Armand, ceux qui l'ont accompagné à tous les niveaux de son entreprise créatrice,
saisissent son travail comme une arme de construction massive.
Je me réjouis d'avoir été le contemporain de Paul-Armand Gette. Son œuvre
m'accompagne. Son souvenir me donne du courage.
Marc Moret, le 3 février 2024